En cette élection présidentielle 2017, Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière) et Philippe Poutou (Nouveau Parti Anticapitaliste) nous proposent « d’interdire les licenciements ». Leur raisonnement est le suivant : « le chômage est causé par les licenciements. Donc si on interdit les licenciements, on fera progressivement disparaître le chômage ».
Ce raisonnement n’est malheureusement pas valide. Pour quelles raisons ? Parce que le chômage n’est pas causé par les licenciements mais par un déficit d’activité et d’embauche.
Dans une économie de marché, les entreprises connaissent des fluctuations d’activité qu’elles ne maîtrisent pas. Une fabrique de cigarettes, une distillerie ou un abattoir connaîtront par exemple une baisse d’activité si les gens se mettent à moins fumer, à moins boire d’alcool ou à moins manger de viande.
Face à cette baisse d’activité subie, une entreprise, si elle conserve l’ensemble du personnel (avec l’ensemble de ses coûts salariaux) et si elle voit à la fois ses ventes baisser, sera irrémédiablement conduite à la faillite, avec pour conséquence la suppression de la totalité de ses emplois.
Pour pouvoir conserver ses emplois, une entreprise doit pouvoir réduire ses effectifs si elle se trouve confrontée à une baisse d’activité et de recettes.
Plus avant, la consommation des gens fluctue entre différents produits et entreprises : l’année 2015 peut voir par exemple une plus grande consommation de glaces au citron au détriment de la limonade, cependant que l’année 2016 montrera l’inverse. La consommation globale des gens est stable, mais se répartit de façon différente selon les années et les types de produits.
Dans ce contexte, il est naturel, et même salutaire, que l’entreprise de limonade licencie du personnel en 2015, lequel ira travailler dans l’entreprise de glaces au citron ; et inversement l’année suivante. Le taux d’emploi global est préservé, précisément grâce aux licenciements.
Sans licenciements par l’une des deux entreprises, du reste, l’autre entreprise manquerait d’ailleurs.
L’emploi n’est pas un « gâteau fixe », mais un turn-over permanent entre différents secteurs d’activité, les uns en expansion, les autres en repli, dans un incessant mouvement aléatoire et imprévisible.
Dans ce maelström de l’activité économique, le chômage n’est pas le produit des licenciements, mais simplement le différentiel entre les embauches et les licenciements : si les premières sont supérieures aux seconds, le chômage baisse ; si les seconds sont supérieurs aux premières, le chômage augmente.
Embauches et licenciements ont lieu chaque jour par milliers, de façon permanente. C’est là le fonctionnement normal, inévitable et « sain » d’une économie de marché.
Quels seraient les effets d’une « interdiction des licenciements » comme le prônent LO et le NPA ? Ils seraient doublement néfastes :
- les entreprises connaissant une baisse d’activité seraient conduites à la faillite, et à la suppression de la totalité de leur personnel ;
- les chefs d’entreprise, craignant de ne pas pouvoir licencier en cas de baisse d’activité, arrêteraient d’embaucher, même en cas de possibilité de développement de l’entreprise.
« L’interdiction de licenciement » prônée par LO et le NPA, loin de réduire le chômage, causerait au contraire une augmentation du chômage, par une multiplication des faillites et un arrêt des embauches et du développement économique.
Le principe « d’interdiction du licenciement » n’est jugé bénéfique que par des esprits qui ne connaissent pas le fonctionnement de l’économie ou qui réfléchissent peu. Ce slogan simpliste poursuit, au-delà de son « bon sens » idéologique, un objectif essentiellement séducteur et électoraliste.
Bien sûr, ces considérations s’inscrivent dans le cadre d’une économie de marché. Serait-ce à dire que LO et le NPA envisagent une autre forme d’organisation économique ? Mais quelle organisation économique diffère de celle de l’économie de marché ? L’économie dirigée soviétique, avec l’échec qu’on en a observé (inadéquation aux besoins, retard technologique, pénurie, appauvrissement de la population, émergence d’une aristocratie d’apparatchiks…) ?
Jean-Luc Mélenchon, de son côté, plus prudent, se cantonne à une interdiction des « licenciements boursiers ».
Qu’est-ce qu’un « licenciement boursier » ? Il s’agit, dans l’esprit de la gauche radicale, d’un licenciement qui n’est pas un « licenciement économique », c’est-à-dire qui survient alors que l’entreprise est prospère.
Pourquoi ce type de licenciement est-il surnommé « boursier » ? Parce qu’il est supposé, par sa baisse des coûts salariaux, augmenter les bénéfices de l’entreprise, donc augmenter le cours de son action en bourse et les dividendes des actionnaires.
Pour quelle raison une entreprise peut-elle se permettre ce type de licenciement ? Généralement parce qu’elle a opéré des gains de productivité, permis par la robotisation ou l’informatisation, lesquels outils permettent de réaliser la même production avec un effectif de personnel moindre. Plutôt que de réduire le temps de travail du personnel, l’entreprise supprime des effectifs, ce qui lui permet d’augmenter ses bénéfices, d’augmenter le cours de son action en bourse et de verser des dividendes aux actionnaires.
Ce type de licenciement est doublement bénéfique pour l’entreprise :
- à court terme, il lui permet de réduire ses coûts salariaux et d’augmenter ses bénéfices ;
- à moyen terme, ces licenciements nourrissent le chômage de masse, lequel génère un phénomène de « moins-disant salarial », permettant aux entreprises d’embaucher avec des salaires moindres, ce phénomène provoquant par agrégation une baisse générale des salaires, au profit des dividendes des actionnaires.
Ce type de « licenciement boursier » génère au moins six effets nocifs pour la société :
- il crée de nouveaux chômeurs (moins riches et moins heureux que des gens qui travaillent) ;
- il ne réduit pas le temps de travail du personnel (ce qui pourrait pourtant être permis par les gains de productivité) ;
- en nourrissant le chômage de masse, il concourt au moins-disant salarial et à la baisse générale des salaires des gens qui travaillent ;
- cette baisse générale des salaires entraîne une baisse générale des recettes de l’État (puisque les recettes de l’État proviennent en partie des revenus et de la consommation des ménages), donc un appauvrissement et un surendettement de l’État (devenu aujourd’hui critique) ;
- l’argent perdu par les salariés sur leurs salaires est autant d’argent supplémentaire de gagné pour les hauts salaires et les actionnaires, argent dont une grande partie s’évade vers les paradis fiscaux offshore (60 milliards d’euros par an), sans passer par les cases impôt ni consommation ;
- le chômage, la pauvreté et les inégalités sociales nourrissent le vote d’extrême droite.
Les licenciements effectués par une entreprise prospère grâce à des gains de productivité sont nocifs pour l’emploi et pour la société.
Cette (louable) volonté d’interdire les licenciements boursiers ne répond toutefois pas à un certain nombre de questions :
- Comment, concrètement, d’un point de vue légal, interdit-on à une entreprise d’effectuer des « licenciements boursiers » ?
- Comment distingue-t-on de façon rigoureuse les licenciements boursiers des licenciements économiques ?
- Les entreprises désirant effectuer des « licenciements boursiers » ne seront-elles pas tentée de les maquiller en (faux) licenciements économiques, ou de tricher de toute autre manière ?
- Si l’objectif poursuivi est la réduction du chômage, comment peut-on obliger ou permettre à une entreprise bénéficiant d’un gain de productivité de réduire le temps de travail de ses employés ?
- Quid de la réduction du temps de travail dans les petites entreprises (par exemple artisanales), qui ne réalisent pas de gains de productivité ?
- Si on légifère au seul niveau national, ne risque-t-on pas d’assister à une fuite des entreprises (et donc des emplois) vers l’étranger ? Ne serait-il pas plus opportun de légiférer au niveau international, voire dans l’idéal mondial (puisque le marché économique est mondial) ?
- Quel impact cette mesure aurait-elle sur le chômage ?
Ces questions ne sont pas éclairées par le programme de Jean-Luc Mélenchon.
C’est dommage, car la transformation des (énormes) gains de productivité en réduction du temps de travail est probablement la clef de l’éradication du chômage de masse (et de tous ses fléaux en cascade – paupérisation, accroissement des inégalités, endettement public, extrême droite…). S’il ne devait y avoir qu’une seule proposition dans un programme politique national, ce devrait être celle-là.
Interdire les « licenciements boursiers », donc : pourquoi pas ? Mais quels en seront les modalités et les effets ?
En conclusion, « interdire tout licenciement » est une ineptie économique qui conduirait la plupart de nos entreprises à la faillite, en jetant au chômage la totalité de leur personnel, et qui dissuaderait par ailleurs les chefs d’entreprise d’embaucher, générant des millions de chômeurs supplémentaires.
Quant à « interdire les licenciements boursiers », l’intention est sensée, mais quid de la mise en œuvre, du législatif et des effets produits ?
Christophe Chomant
17-04-17