Albert Hirschman (1915-2012), sociologue américain, avait théorisé l’idée « d’effet tunnel » en sociologie politique : lorsque la situation s’améliore pour un groupe social, ceci est tout d’abord perçu comme un signal positif par les autres groupes, qui espèrent bénéficier rapidement d’une même amélioration. Mais si cette amélioration ne vient pas, le sentiment de frustration, d’injustice et de colère est décuplé et a de grandes chances de déboucher sur un conflit. Hirschman illustrait ce phénomène par celui de files de voitures bloquées dans un tunnel : tant que toutes les files sont bloquées, personne ne fulmine, chacun ronge son frein. Si l’une des files se trouve débloquée, chacun espère que son tour va venir très rapidement. S’il ne vient pas, chaque automobiliste resté bloqué s’estime lésé, victime d’une injustice et se met en colère. Aussi mon regretté professeur d’anthropologie cognitive en Sorbonne Raymond Boudon nous enjoignait-il de ne jamais entreprendre de réforme sociale ou fiscale qui aurait bénéficié d’abord à une catégorie sociale (surtout aisée) avant que d’en faire bénéficier une autre (surtout défavorisée), sous peine d’explosion sociale. Un classique de la sociologie politique que notre président et nos députés, dans leur jeunesse et leur fougue, n’auront probablement pas eu le temps de lire…

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