On se retrouve de nouveau aujourd'hui, comme dans les années 1930, avec des extrémistes de gauche et de droite – tous anti-libéraux, anti-européens et anti-mondialistes – aux portes du pouvoir en Europe. Pourquoi ?
Parce qu'en dépit de la promesse de « main invisible » d'Adam Smith, l'économie de marché ne parvient pas à réguler naturellement le chômage de masse, plus exactement à ajuster la distribution du temps de travail aux bonds fulgurants de la productivité au cours des cinquante dernières années.
Le chômage de masse, par moins-disant salarial sur le marché du travail, entraîne mécaniquement une baisse générale des salaires et un appauvrissement de la population (que nous vivons depuis la fin du 20ème siècle).
Cet appauvrissement génère une baisse de la consommation, un déficit des recettes publiques (aggravé par l'exil fiscal), une augmentation des dépenses sociales (communes, départements, régions, État) et un accroissement de la dette publique, en une spirale sans fin.
La baisse de la consommation, de son côté, provoque une asphyxie de l'activité des entreprises et aggrave le chômage.
Tous ces phénomènes conjugués provoquent la défiance des électeurs à l'égard de la classe politique au pouvoir (depuis le PS jusque l'UMP) et de l'économie de marché. Cette défiance nourrit les extrémismes politiques, de gauche comme de droite, qui ne tarissent pas de démagogie.
Les promesses électoralistes (et non réalistes) de F. Hollande en 2012, plus encore, ont, de façon logique et prévisible, généré la transfusion massive d'électeurs de gauche, dupés et désabusés, vers le FN. C'était écrit.
Ne perdons pas de vue que la cause première de tous ces maux est le chômage de masse, et que la cause de cette cause première est la distorsion entre le quintuplement de la productivité depuis cinquante ans et le maintien de la semaine de travail définie en 1945 (par les communistes et gaullistes alors réunis) à 40 heures sur cinq jours par semaine, là où le PIB français n'aurait plus besoin aujourd'hui que de 30 heures réparties sur quatre jours pour que tout le monde puisse travailler.
Nous savons aussi que le taux de croissance des Trente Glorieuses ne reviendra jamais, et que même une reprise de la croissance à quelques points ne parviendra pas à résorber le chômage et restaurer le plein emploi.
Réduire et répartir le temps de travail pour éradiquer le chômage de masse, sans pour autant mettre en difficulté les entreprises ni déséquilibrer les comptes collectifs : telle est la gageure de notre pays, à laquelle bien peu d'hommes politiques (hormis Larrouturou ou De Robien) se sont attelés jusque-là.
Cet enjeu n'est ni de gauche ni de droite, ni modéré ni extrémiste. Il est simplement collectif et démocratique.
Le paramètre aggravant est que nos hommes politiques, de droite comme de gauche, enfermés dans des œillères gestionnaires, des logiques électoralistes et des querelles sectaires, ont renoncé au pouvoir politique qui leur est conféré par le bulletin de vote (et dont comptent bien en revanche se servir les extrémistes en embuscade).
Comment éradiquer les extrémismes politiques et autres fléaux issus du chômage de masse ? Par une révolution sociale de la distribution du temps de travail. Car dans une économie de marché, où l'argent et les profits existent pour les plus riches, seule la restauration du plein emploi permettra mécaniquement une augmentation des salaires pour les plus pauvres.
À ce titre, le schisme de l'UMP révélé (ou plutôt confirmé) par le 2ème tour de la législative partielle dans le Doubs n'est qu'un épiphénomène (dont les médias tirent bien sûr profit pour faire buzz et choux gras, mais sans analyse profonde) d'un problème global : la vraie question est celle du chômage de masse et de la distribution du temps de travail. C'est pour cette raison que des électeurs UMP se déchirent aujourd'hui entre voter FN ou PS – tout comme demain des électeurs PS se déchireront entre voter extrême gauche ou UMP. La racine et le carburant de ces dérives dangereuses sont le chômage de masse, la paupérisation, l'inquiétude et le sentiment d'injustice éprouvés par les couches populaires et moyennes.
Sans électrochoc social, sans révolution de la répartition du temps de travail, notre pays continuera de s'enfoncer dans le chômage, les déficits, la paupérisation et les montées extrémistes. Tout comme dans les années 1930. L'Histoire se répète. L'homme occidental d'aujourd'hui, pressurisé le jour par le rendement « compétitif », et drogué le soir à la télé abêtissante, a-t-il choisi le fatalisme et l'impuissance ?
Une éradication keynésienne du chômage de masse par une redistribution du temps de travail provoquerait une hausse mécanique des salaires et mettrait fin à la paupérisation, aux déficits publics et à l'extrême droite. Nous y viendrons certainement un jour, car, en l'absence d'une croissance significative, il n'y a probablement pas d'autre issue à l'ensemble de nos problèmes.
Christophe Chomant
06-02-2015
commenter cet article …